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Witness/N14 par friches théâtre urbain / l'avant rue
27 mai 2009

HIER A QUATRE ROUTES

visite guidée ... selon l'Abbé

C'était une journée chargée de rencontres hier à Quatre Routes.

Nous avons commencé chez Guy, en prenant un serré sur la terrasse du Café le Rond Point. Le but : filmer un nid d'oiseaux qui se trouve sur le seul grand arbre du carrefour. Selon Guy, ce nid du port migrateur qu’incarne le spot des quatre routes est habité tous les ans par le même couple d'oiseaux.

"C'est des oiseaux immigrés!" me lance quelqu'un, je ne me rappelle pas qui.

Aussitôt la grosse caméra sortie, aussitôt des remarques des jeunes, des têtes tournées …

Je rentre pour payer les cafés et je vois le Malien extraverti El Hadj assis à la fenêtre, avec deux amis.

elhadj_web

On ne se connait pas formellement, disons, qu'on s'est vu sans jamais avoir été présenté,

mais aujourd'hui il saute debout et me propose toute de suite :

"Tenez, prenez le en photo, prenez lui! Il est marabout! Prenez lui! Prenez lui!" me dit-il indiquant son ami au chapeau de fez.

Je prends des photos de son ami marabout mais c'est El Hadj lui-même qui m'a fasciné depuis le premier jour, il y a deux mois. Beau, fier, avec un humour acerbe, il a toujours deux, trois téléphones portables alignés devant lui, sur la table ou au comptoir. Des fois en costume cravate, aujourd'hui il est habillé en tenue traditionnelle : boubou vert et pantalon assorti.Il lance des insultes, il rit, il se fâche ouvertement et bruyamment avec tout le monde, mais c'est des blagues je crois, car ces yeux pétillent.

"Vous allez le marier ?" me demande son ami-marabout après que j'ai saisi quelques clichés d'El Hadj.

"Euh… c'est une belle idée, …je n'ai pas encore étudié la question" je réponds cherchant l'équilibre précaire entre pudeur et flatterie. Un marabout, ça doit voir à travers les mots, la sincérité des gens non ?

Pendant que nous filmons le nid, un trio d'européens blancs, sort nous rejoindre : un portugais, un italien, un français …Ils me décrivent tous les autres nids qu'ils connaissent dans le coin, et les pies qui vont avec, car un nid sans oiseaux … Un d'eux est concierge de la barre qui va être démoli dans deux ans, où habitent Nicole, et Jacques.

IMG_6500_web

"Et moi aussi j'habite là-bas." dit l'autre

"Eh! y a Jean, tu connais Jean ?"

"Non"

"Si, si! Jean qui a la colombe toujours à l'épaule, il vient ici souvent -  il est toujours ici !"

"Non, non je ne le connais pas."

Sans que je puisse dire un mot de plus nous sommes partis, l'Abbé et moi ("c'est comme ça qu'on m'appelle") faire un tour des Quatre Routes à la recherche de Jean avec la colombe sur l'épaule. En passant par tous les petits jardins cachés derrière, dans la cité, pour voir les nids d'oiseaux car :

"Si vous faites un film d'ornithologie faut que vous sachiez bien tout ce qu'il y a ici !"

Jean n'est pas dans le jardin, Jean n'est pas chez lui. En route nous laissons mon caméraman Pierre sur le chantier ou Damien et Chris sont en train de désamianter ce qui reste de Mondial Moquette.

chris_damien_web

"Elle est où la petite? Elle m'a promis un cd des photos!"

"Elle n'a pas oublié, elle reviendra la semaine prochaine". Je fais une note mentale de speeder un peu Juliette de ramener des photos à tous ce à qui on a promis. Nos collaborateurs ont des exigences de temps aussi serrées qu'une agence de pub.

Et ça fait partie du deal un peu – de montrer vite ce qu'on a fait…

On continue notre quête avec l'Abbé, qui me mène d'un pas frénétique vers l'Euro, le bar resto portugais où Jacques et Nicole ont l'habitude de manger le midi. 

"Un homme mourait sous mes yeux ici, la semaine dernière" me dit l'Abbé s’arrêtant devant un chantier sur le chemin.

"Oui, une grosse plaque lui est tombée dessus. J'ai vu cinq morts dans ma vie. Oui. Cinq."

Il regarde le chantier, immobile, imposant une pause longue pour que je les imagine mieux, ces morts.

A l'Euro on n'avait pas vu Jean de la journée, mais tout de suite quelqu'un passe à l'Abbé un portable, le numéro affiché pour l'appeler. Et un café plus tard, arrive Jean lui-même, mais sans colombe à l'épaule.

"Oh, je vous connais!" lui dis-je

"Ah bon?"

"Oui, il y a un an nous avons discuté le coup au café le Rond Point et je vous avez pris en photo. Vous aviez une barbe je crois…"

"Exacte."

"Je regarde souvent cette photo, Je l'aime beaucoup –  C'est pourquoi j'ai l'impression de vous connaître."

Un sourire un peu fier, pudique. Il m'offre un petit carton déchiré avec le numéro de son portable.

"Copiez-le, faut que je garde le carton, j'oublie toujours mon numéro" Et c'est quand je veux pour la scène dans le café avec sa colombe.

L'Abbé est pressé, il faut qu'on parte, il a d'autres choses à me montrer. A grands pas nous retraversons les quatre Routes, - destination bien secrète,

"Vous aimez les vieilles choses?"

"Euh, oui…"

"C'est bien ce que je pensais, alors regardez ça!"

Et nous nous arrêtons devant la vitrine figée, tristement poussiéreuse, mais bien chargée d'une brocante, que j'avais photographiée quelques fois auparavant.

"Voilà pour tout ce que vous voulez! Là on trouve de tout!" me dit-il, fier des richesses cachées des Quatre Routes.

Au café bar Les Quatre Routes, l'Abbé insiste pour que je téléphone à sa femme qui travaille au Conseil Général. J'hésite, il insiste : une conversation absurde ou je me sens un peu mal à l'aise, mais sans raison, l'Abbé en est très content. Il boit un Ricard et moi un cinquième café, cette fois-ci avec Amine, que je n'ai pas vu depuis deux semaines, qui arrive avec un ami.

Momo, le barman est en vacances en Kabylie, mais son cousin me trouve des vieilles photos du quartier au fond de son tiroir.

vieille_photo_web

Il ne trouve pas du tout nécessaire d'attendre le retour de Momo pour filmer la scène de l'ouverture des deux cafés à six heures du matin.

"Non, non! Je le ferai moi-même, bien sur je le ferai !" dit-il avec un énorme sourire.

L'Abbé n'a pas l'air fatigué et il a pas mal de trucs à me monter encore…

J'ai plus de batterie, et j'ai bu trop de cafés,

"Un autre jour?"

Il me permet de le prendre en photo, déçu malgré tout par mon manque de résistance, car si je veux vraiment connaître ses quatre routes…

abbe_web

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